Nous reprenons ci-dessous le texte d’une interview de Franck DHOTE, publié dans le journal « La dépêche du midi » le 7 avril 2022.
J’ai répondu aux questions de Robin SERRADEIL, journaliste, au sujet de la multiplication des opérations de rappel de produits alimentaires qui se succèdent depuis plusieurs mois. Ces opérations de rappel ont eu lieu suite à des analyses approfondies de produits déjà commercialisés (investigations complémentaires suite à des suspicions) mais aussi grâce au système de surveillance épidémiologique de certaines affections d’origine alimentaire telles que les contaminations par E. coli Hautement Pathogène qui peuvent avoir des conséquences gravissimes chez les jeunes enfants.
Le séquencage du génome des agents pathogènes isolés chez les malades, par les Centres nationaux de références (CNR), permet d’identifier l’origine commune de certaines contaminations alimentaires.
Les études épidémiologiques conduites par Santé Publique France (SPF) permettent ensuite d’identifier le producteur d’aliment à l’origine de la contamination, de lancer un rappel des produits encore commercialisés et de faire stopper la mise sur le marché de produits à risque.
Le titre initial de l’article rédigé par le journaliste « E.Coli chez Buitoni, salmonelles chez Kinder… pourquoi ce n’est pas si « inquiétant » selon un expert en sécurité alimentaire » ne reflètait toutefois pas du tout le contenu et le sens de nos propos. On se demande d’ailleurs pourquoi le mot inquiétant a été mis entre « ». Le fait de commercialiser des produits destinés aux enfants contenant des agents pathogènes n’est bien évidement pas admissible. Et on comprend l’inquietude des parents à ce sujet. Ce qui n’est pas inquiétant, c’est que des mesures de retrait-rappel soient mises en oeuvre, justement pour prévenir et faire cesser la commercialisation de produits contaminés. Plus ces opérations seront nombreuses, plus la sécurité sanitaire des produits sur le marché sera assurée. Le titre a ainsi été modifié à notre demande : « Kinder, Buitoni… pourquoi la multiplication récente des rappels de produits n’est pas si « inquiétante » selon un expert«
Pizzas, chocolats Kinder, glaces, fromages… Les rappels de produits qui ont été opérés ces derniers jours sont-ils inquiétants?
Je ne le pense pas. Ces rappels de produits montrent que le système de surveillance sanitaire français de la chaîne alimentaire fonctionne bien. Lorsqu’un produit alimentaire est susceptible de présenter un risque pour la santé, il n’est pas mis en distribution. Il arrive toutefois que, par exemple, des résultats d’analyses approfondies soient connus alors que le produit est déjà dans les rayons. Dans ce cas, la maîtrise de la traçabilité de la chaîne alimentaire permet le rappel des lots de produit concernés alors qu’ils sont dans les magasins et/ou d’alerter les consommateurs qui ont déjà acheté les produits en question.
Les rappels de produits et les cas de contaminations aux bactéries sont-ils plus fréquents aujourd’hui ou est-ce un effet de médiatisation ?
Ces rappels de produits sont surtout beaucoup plus médiatisés. On sait désormais que les prochains rappels de produits seront d’autant plus suivis. Des rappels de produits, il y en a tous les jours. Les rappels sont toutefois peut-être plus fréquents depuis la mise en application de la loi EGAlim de 2019 qui impose l’information immédiate des autorités sanitaires (DDPP) par le producteur lorsque le résultat d’un autocontrôle montre qu’il a produit des marchandises susceptibles d’être préjudiciables à la santé humaine ou animale même s’ils n’ont pas été mis sur le marché. Cette nouvelle obligation est susceptible de conduire à des contrôles plus approfondis, débouchant sur des opérations de rappel de produits alimentaires plus fréquentes.
Est-ce cependant inquiétant de voir que des produits potentiellement dangereux pour la santé sont mis à la vente ?
Les cas d’intoxication alimentaire restent rares et ne sont pas en augmentation. La mise sur le marché de produits alimentaires non conformes reste possible notamment parce qu’il est impossible d’analyser individuellement tous les produits alimentaires qui sont mis en vente. Il est par contre indispensable de vérifier que les producteurs ou transformateurs contrôlent les sources d’approvisionnement en matière première et maîtrisent l’ensemble du process de fabrication et de conservation pendant les phases de stockage, de transport et de commercialisation.
Ce système de surveillance, comment fonctionne-t-il ?
La maîtrise de la salubrité des produits mis sur le marché repose en premier lieu sur le producteur/transformateur des denrées alimentaires qui met les produits sur le marché. Ce dernier doit s’assurer que les marchandises ne présentent pas de danger pour le consommateur. La surveillance s’opère par des contrôles tout au long du process de production et passe notamment par des autocontrôles microbiologiques avant la libération des lots. En matière de surveillance par les autorités sanitaires, des prélèvements officiels et des analyses de produits sont réalisés dans le cadre des plans de surveillance et des plans de contrôles, élaborés chaque année par la direction générale de l’alimentation qui dépend du ministère de l’Agriculture. Ces plans visent à surveiller la qualité sanitaire des aliments et à rechercher des anomalies ou des fraudes éventuelles. Des inspections inopinées sont aussi réalisées notamment dans les établissements de production qui présentent le plus de risques.
Y a-t-il des produits qui échappent à ces contrôles ?
De nombreux produits sont mis sur le marché après des analyses libératoires c’est-à-dire après que les résultats des analyses d’échantillons prélevés sur un lot de marchandises soient connus. Il n’est toutefois pas toujours possible de réaliser des contrôles libératoires, notamment en ce qui concerne des produits frais qui doivent être consommés rapidement, dans un délai inférieur au délai nécessaire pour connaître les résultats des analyses. Les contrôles ne peuvent pas non plus rechercher tous les contaminants possibles, parce que c’est simplement impossible. Les faibles contaminations ne sont par ailleurs pas toujours possibles à détecter par les analyses de routine.
Les règles qui encadrent la production alimentaire sont-elles selon vous suffisamment efficaces aujourd’hui ?
Les règles, tel qu’elles existent, sont déjà très contraignantes pour les producteurs. Ce qui est important, c’est l’application de ces règles. Il faut s’assurer qu’elles soient appliquées de façon rigoureuse par les producteurs. Il convient aussi d’informer efficacement les consommateurs de l’existence de risque lors de la consommation de certains produits par les populations les plus fragiles (personnes âgées, immunodéprimées, femmes enceintes…). Le fromage au lait cru par exemple est un produit qui contient du lait qui n’a été soumis à aucun traitement thermique (chauffage) et peut ainsi contenir des agents pathogènes pour l’Homme. Les cas d’intoxication grave par E. coli liés à la consommation de fromage au lait cru concernent ainsi en majorité de très jeunes enfants. Il est illusoire et n’est pas souhaitable de chercher une sécurité absolue dans ce domaine. Le consommateur doit toutefois être correctement informé que le risque zéro n’existe pas, même dans la filière alimentaire.